L’intelligence émotionnelle et l’entreprise

L’intelligence émotionnelle fait parfois défaut en entreprise. Or lorsque nous n’avons pas conscience de nos émotions, ce sont elles qui nous agissent … Nous n’agissons plus, nous réagissons. Une part de nos actions, de nos motivations, et de nos réactions nous échappent littéralement.

Entreprise et émotion

Dans la course à la performance et à l’efficacité sans faille du XXème siècle, les émotions, les ressentis et leur expression ont été bannis des comportements attendus en entreprise. Considérés par trop subjectifs, inconstants et sensibles, ils représentaient une menace pour le fantasme de la pure objectivité, la tension vers une normativité sans faille et le risque zéro !!

Cela s’est passé sans bruit, sans discussion. Implicitement. L’émotion est comme sortie du champ de la conscience. La tendance n’est d’ailleurs ni récente ni exclusive à l’entreprise. La place du virtuel et du digital, a également précipité cette anesthésie de notre intelligence émotionnelle … et relationnelle. Notre éducation elle même, a peu à peu estompé la place de l’émotion (mais aussi de l’intuition) au profit d’un mental rationnel objectif omnipotent.

Stress : Une valise anonyme à émotions contenues.

Dans les années 70 le déploiement du concept de stress – dont la définition est en réalité assez précise – a implicitement placé sous un terme générique l’ensemble des inconforts et émotions vécues dans l’entreprise ! Plus besoin de tenir sous couvert qu’on était débordé, jaloux, en colère, en manque de reconnaissance, déçu, agacé : On était juste « Stressé » et … c’était ok ! … D’autant qu’on allait « gérer » grâce à pléthore de formations dédiées. Ce faisant le couvercle déjà posé sur notre réalité émotionnelle n’a fait que s’appesantir.

Lorsque lors de mes interventions sur la question des conflits et de l’agressivité, je propose aux participants de nommer les émotions qu’ils ont éprouvées au cours d’une situation de tension. La réponse se résume dans 95 % des cas au mot Stress : « Ça m’a stressé » ou « il m’a gonflé ». Et si l’on cherche à préciser un peu, c’est tout un processus pour faire émerger à la conscience une émotion ou un ressenti identifié.

D ‘année en année le constat est plus flagrant : l’incapacité à nommer ce que nous éprouvons. Notre intelligence émotionnelle s’est perdue. Or lorsque nous n’avons pas conscience de nos émotions, ce sont elles qui nous agissent … Nous n’agissons plus, nous réagissons. Une part de nos actions, de nos motivations, et de nos réactions nous échappent littéralement.

Il n’est pas rare d’entendre « je ne sais pas ce qui m’a pris » , « ça m’a dépassé », « je ne me reconnais plus », « je ne comprends pas ce qui m’arrive » , « ça m’a mis hors de moi » « je suis dépassé » « je n’y comprends plus rien » « je suis perdu »…

Le Risque Psycho Social, octave supérieure de Stress. Burn out, Bore out, Brown out (à nouveau des anglicismes) sont venus soulever le couvercle de fonte posé sur « nos stress trop bien gérés », sur nos émotions contenues, refoulées et non dites… pour ne pas dire devenues innommables. Une boite à Pandore qu’on croyait maitrisée.

Le Burn out (épuisement professionnel) dit clairement qu’on a très largement dépassé nos limites, la plupart du temps sans même les avoir identifiées. Le pilotage automatique et l’inconscience où nous sommes de nos ressentis corporels et de nos émotions nous ont menés collectivement et individuellement au (pudiquement nommé) Risque Psycho Social, au Burn out… et nous voilà brûlés, consumés … 

Les émotions et les affects on les laisse au vestiaire

Malgré cela on perdure à penser et à faire comme si  vivre des émotions au travail était un aveu de faiblesse, une preuve d’incompétence, un danger pour soi et pour les autres. Une sorte d’interdit convenu au nom de la bienséance et du professionnalisme. Il est d’ailleurs rare que l’on se risque à poser la question « comment allez vous ? » avec un vrai point d’interrogation. On lance plutôt un « ça va » quasi affirmatif et qui n’attend rien en réponse, et on passe vite … !

Or nous sommes, en permanence, agis par nos émotions. Nos choix au quotidien, nos actions, nos décisions, la qualité de nos relations et de nos interactions, nos attitudes et comportements sont tous, à un moment, orientés par ces messages de notre corps !

L’émotion est une part intrinsèque et inaliénable de notre réalité humaine.

Étymologiquement : « Movere » : Mouvoir, s’émouvoir, remuer, bouger, ébranler, agiter. Et, « ex » : au dehors.  Autrement dit l’émotion est ce qui nous met en mouvement, c’est le moteur de l’action, notre motivation… La motivation, si chère aux entreprises, serait elle prisonnière de notre capacité à reconnaître et accueillir ce que nous éprouvons ?

A. Damasio, nous dit que l’émotion est une étape de la conscience. Elle joue un rôle central de médiation entre la sensation du corps et la conscience rationnelle. Elle est un phénomène physiologique spontané qui s’appréhende dans et par le CORPS et précède directement la conscience.  

L’émotion nous renseigne sur l’impact d’une situation que nous sommes en train de vivre, sur ce que la situation génère en nous : Plaisir, inconfort, danger, inquiétude, trop plein, joie, désir… Elle informe l’organisme de la menace d’un changement réel ou fantasmé.

Elle est indispensable dans le processus de prise conscience. Si je ne prends pas conscience de mes émotions, j’ai du mal a comprendre ce qui m’arrive et ce qui génère mes réactions.

Une anesthésie que nous payons cher !

Si nous nous sommes amputés de notre intelligence émotionnelle, notre nature émotionnelle, elle, subsiste, et souvent hors du champ conscient, faisant des percées au grand jour chaque fois que nous réagissons impulsivement, ou sous le coup … de l’émotion. Comme pour le stress il y à quelques décennies, nous voyons apparaître des articles, des exercices, des séminaires pour apprendre à : Contrôler – Gérer – Maitriser les émotions. Vaine illusion !!

Tenter d’éradiquer ou de contrôler ce qui déborde d’humain dans l’humain; cette logique guerrière contre soi même, ne peut que générer ou amplifier le mal être et la souffrance.
Nos pensées, nos avis, nos décisions, notre compréhension sont d’abord issus de nos émotions. L’émotion est une alliée et une boussole pour nous permettre d’agir juste, pour prendre des décisions qui nous correspondent, et pour être authentiquement en relation. Rejeter ou faire taire cette part émotionnelle, c’est rejeter une part essentielle de soi.

 

Face à l’émotion on voit parfois les collaborateurs :

– se laisser submerger
– se poser en victime
– se figer dans une incapacité à agir

Retrouver l’intelligence émotionnelle c’est redonner La Parole au Corps :

– Renforcer sa qualité de Présence,

– Entrer à l’écoute et renouer avec une conscience des sensations corporelles dans l’instant

– Accueillir, identifier et savoir nommer ses émotions

– Accepter la responsabilité de ses ressentis et en comprendre le message

– Savoir traduire le ressenti et le communiquer au service de la situation et de la relation

Accueillir et replacer l’émotion dans notre dynamique personnelle psycho-sociale passe inévitablement par le renforcement de la qualité de notre présence à l’instant, aux sensations du corps et à ses messages. C’est une « voie du Sentir »